Catherine Kessedjian, est professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas, vice-présidente de l’International Law Association, observateur auprès de la CNUDCI
La Commission des Nations unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) prépare un instrument pour les effets transnationaux des transactions obtenues après un processus de médiation. Quelle est la genèse de ce projet ?
La médiation s’étant considérablement développée dans toutes les régions du monde, y compris pour régler des différends commerciaux internationaux, il est apparu qu’il manquait un instrument pour les effets transnationaux des transactions issues d’une médiation réussie. La CNUDCI était toute désignée pour ouvrir des négociations sur cette question, non seulement parce qu’elle peut porter à son cré-dit le succès de la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, mais aussi parce qu’elle a adopté en 2002 une loi modèle sur la conciliation qui a été adoptée dans un certain nombre de pays (Canada, par ex.). Dans le texte en négociation, les trans-actions (settlement en anglais) sont appelées « accords de règlement », traduction mot à mot de l’anglais « settlement agreement », sous le prétexte que les négociateurs ne vou-laient pas importer dans le texte uniforme une catégorie juri-dique spécifique, la transaction, avec le bagage normatif qui l’accompagne. Ils pensent ainsi créer une catégorie juridique nouvelle pour les besoins du commerce international.
Quels sont les points forts du texte en préparation?
Le texte, tout en gardant le terme de « conciliation » (comme dans la loi modèle), inclut tous les processus de règlement amiable, aidés par un tiers indépendant et impartial, tels que la médiation et quelle que soit la dénomination retenue au plan national (art. 3.4). Il a donc vocation à s’appliquer large-ment aux effets d’accords obtenus après des processus alter-natifs divers par lesquels un tiers aide les parties à parvenir à cet accord. Le texte se limite aux accords de règlement inter-venant dans le cadre de relations entre opérateurs du commerce international en excluant les accords négociés dans un cadre familial, de travail ou de relation de consommation. Ne sont donc visés que les accords négociés dans le cadre d’une relation entre partenaires présumés à armes égales. Le but du texte est de permettre l’exécution d’un tel accord (art. 2.1), ou son utilisation comme moyen de défense à l’encontre d’une procédure (art. 2.2), dans tous les pays qui auront adhéré à la future Convention ou qui auront adopté un texte de loi interne pour atteindre le même résultat, ce qui sera d’une grande utilité pour les opérateurs du commerce interna-tional qui hésitent encore à recourir à la médiation en raison de l’absence d’exécution transnationale de la transaction.
Quelles sont les questions encore ouvertes ou qui posent difficulté?
La première difficulté est que le texte, pour le moment, contient trop d’exigences formelles. Non seulement l’exis-tence de l’accord doit être prouvée, mais encore il doit être prouvé que l’accord a été acquis après un processus de conci-liation/médiation conforme à la définition de la Convention tel que rappelé ci-dessus. Les négociateurs ont prévu que, par exemple, la signature du médiateur à la fin de l’accord soit une forme de preuve privilégiée à cet effet. C’est méconnaî-tre que, dans un grand nombre de pays, le médiateur n’est pas autorisé à signer la transaction. Certes, la preuve peut être apportée par d’autres moyens, mais la hiérarchie instituée montre une nette préférence des négociateurs pour ce mode de preuve. De plus, l’autorité compétente peut demander tout autre document qu’elle estime nécessaire (art. 3.3, c) sans qu’aucune précision sur la nature de ces documents ne soit donnée par le texte.
Mais, de manière plus problématique, les moyens de défense à la disposition de la partie réticente à l’exécution sont trop nombreux et, surtout, ignorent la spécificité du processus de médiation dont la force est d’être informel, flexible et haute-ment adaptable. Le texte cumule les moyens de défense que l’on trouve aux articles II, 3, et V de la Convention de New York de 1958 et en ajoute d’autres. Au total ce sont dix moyens de défense qui sont à la disposition de la partie qui veut renier sa signature. Par exemple, la partie qui refuse d’exécuter la transaction peut soulever le fait que « le conci-liateur a gravement manqué aux normes applicables soit aux conciliateurs soit à la conciliation, manquement sans lequel cette partie n’aurait pas conclu l’accord ». Cette disposition est destinée à inclure les standards professionnels, les règles éthiques et toute autre norme applicable à la médiation. De surcroît, un moyen de défense séparé permet de s’oppo-ser à l’exécution de la transaction si le médiateur a manqué aux exigences d’impartialité et d’indépendance. On peut comprendre que les États soient soucieux de ne pas laisser s’exécuter des transactions qui ont été obtenues à la suite d’un processus douteux. Mais le texte ne doit pas faciliter le repentir d’une partie qui a pleinement participé au pro-cessus de médiation, qui aurait pu cesser d’y participer sans aucune conséquence pour elle (ce qui est le droit absolu de toute personne qui entre en médiation), mais qui ne veut pas respecter les obligations qui lui incombent. Pourtant, tel qu’il se présente aujourd’hui, c’est exactement ce que le texte autorise. Si le texte n’est pas amendé sur ces divers points, l’intérêt pratique de l’instrument sera bien moins important que ce qui a été prévu au départ. Les négociations vont se poursuivre en février 2018. Espérons que les exigences seront allégées et que le texte sera plus équilibré.